Green Martha

Manteau d'enfant

29 juillet 1894, La Famille

Courrier de la mode
En relisant quelques anciennes causeries, amies lectrices, je rn’aperçois qu’il y a longtemps déjà que nous n’avons parlé de bébés. Ces chers petits prennent tout notre cœur et la majeure partie de notre temps, mais il faut bien convenir qu’en fait de mode nous les reléguons au second plan.
Que vois-je‘? Toute une petite réunion de célibataires fronce le sourcil. Vous trouvez sans doute, mesdemoiselles, qu’une toilette de baby est parfaite dès que la robe est bien blanche, le. bavoir immaculé. Allons, futures mamans, un bon mouvement, et reprenez votre joli sourire qui sied si bien à vos vingt ans. N'avez-vous pas, dans votre cœur, une grosse part de tendresse pour le petit frère, la petite nièce ou le filleul tout rose et tout joufflu qui nous tend ses petits bras.
Dès qu’il s’agit des enfants, mes idées se modifient et moi, qui ordinairement suis loin de préconiser le genre anglais, je ne vois plus rien d’aussi bien imaginé. Education, toilette, tout est combiné le mieux et le plus pratiquement du monde. Faisons-en notre profit.
C’est ainsi que j’applaudis des deux mains à la suppression des maillots et des bonnets. Affublés de ces langes qui les enroulent comme les gaines de momies, paralysent leurs mouvements et leurs forces, coiffés de ces bonnets à ruches avec choux ou nœuds
de ruban, nos chers bébés me rappellent deux gros poupards qui composaient ma famille de poupée lorsque j’étais enfant. Dieu que je les choyais! Beaucoup parce qu’ils étaient mes fils, un peu parce qu’ils étaient assez laids pour m’ôter tout scrupule.
Leur emmaillotage me permettait de les serrer maternellement dans mes bras, alors que ma splendide Lili avait une belle toilette de soie qui se frippait à la moindre caresse.
Pour les véritables mamans il en est autrement, et leur coquetterie s’étend à leurs bébés, c’est ainsi que, suivant d’excellents conseils elles suppriment le maillot si bien que, dès la naissance, les petites jambes roses et potelées gigotent librement. Une sangle serrée par dessus la brassière et la chemisette soutient les reins frêles et tient lieu de corset pendant les premiers mois. La robe de nansouk ou de bazin, le jackson de flanelle les habillent jusqu’aux pieds et plus bas encore. La culotte de flanelle épaisse, recouverte d’une autre culotte en piqué garni de broderie, dissimule la couche et préserve des accidents inévitables à cet âge.
Pour la robe longue de sortie, le piqué garni de broderie, la flanelle brodée de soie, la mousseline sur transparent de soie blanche, rose ou bleue, ou encore le fourreau de soie blanche doublé de couleur, tout est admis.
Nos bébés, aujourdhui, ne sont plus enfouis sous d’informes pelisses, lourdes, parfois sans goût; une seule pélerine grande, en tissu semblable à la robe, ou en laine des Pyrénées, ou encore la pelisse américaine froncée à la taille avec un grand col de guipure ou avec une pélerine courte, taillée en abat-jour, remplace les pelisses avec avantage.
Le cachemire blanc brodé, même très joliment est, à présent, tout à fait commun, banal. On imite mécaniquement le travail à la main d’une façon si parfaite, que ces pelisses ne se trouvent plus que dans les layettes ordinaires. On préfère au cachemire, l’ondine, la bengaline, la peau de soie, le satin, la moire que l’on garnit d’un volant de dentelle ou d'un cache-point de guipure.
La capote collante sur les joues est remplacée par un fond en soie bouillonnée et coulissée. Ce fond est garni d'un volant de soie et de dentelle, bien ample, couvrant quand même les oreilles, mais avançant davantage sur le front et relevé de coques de ruban, ou de choux en ruban comète. A l'intérieur, une petite ruche bien fournie encadre le visage encore privé de boucles et empêche la capote de retomber sur les yeux.
Quand le bébé commence à marcher seul, la maman toute fière - il y a de quoi, certes, - s'empresse de confectionner elle-même, en mousseline, en nansouk avec des plis et des dentelles, une robe courte sur transparent de soie, décolletée au cou et aux bras ou reposant sur un petit corsage de même façon que la robe. Sur cette robe, la dernière mode est de placer une grosse ceinture en ruban ciel ou rose et une petite jaquette droite et courte, fendue sur les côtés et permettant à la jupe de bien se développer. Ce vêtement se fait rarement en drap; plutôt en soie, ondine ou sicilienne, très simple et très correct de forme.
Beaucoup de jeunes femmes sont fort embarrassées sur la manière de s'habiller soit avant la naissance du bébé, pendant qu’elles le nourrissent. Il faut, avant tout, éviter les vêtements ajustés et adopter les formes flottantes. Les jupes se montent à une coulisse permettant d’élargir la ceinture à volonté, ou bien à un caoutchouc un peu large et en soie qui s’ajuste à la mesure de la taille.
Pour le corsage, il est mieux de lacer la doublure de chaque côté, à la place des pinces, et d’avoir un devant flottant. Avec ces devants droits, froncés, plissés, le corsage veste, avec devants ouverts et petite basque, convient parfaitement.
Au cou, des garnitures qui tombent plus bas que la taille, telles que des cravates de tulle avec pans garnis de dentelle, des rubans de moire ou de satin, des écharpes en mousseline de soie. J'ai vu des jeunes femmes très simples qui, en évitant les formes marquant la taille, en étudiant leur mise, en combinant leurs toilettes, n’être jamais disgracieuses ni ridicules.
On fait des corsets spéciaux qui ne fatiguent pas. et qui, à l’aide d’une ceinture, habillent très bien, beaucoup mieux que les corsets longs si disgracieux et si laids.
Pour récompenser, mes jeunes amies curieuses, qui ont bien voulu me suivre dans mes conseils aux mamans, voici une toute fraîche et toute jolie toilette de demoiselle d’honneur. croquée à leur intention.
Elle est en taffetas crème glacé de rose et de vert. La jupe ronde est coupée en petits lés de biais avec, à chaque lé, un liséré de velours anémone. Le corsage rentré dans la jupe est en tissus pareil avec dos et devant d’un seul morceau. Le devant est repris par une pincée de fronces attachée au milieu de la poitrine par un nœud de velours violine qui remonte à gauche pour se nouer sur l’épaule et former grosse épaulette. Les manches courtes et très bouffantes sont en velours glacé anémone.
Si la coquette est très élégante et a plus de vingt ans, un grand col de guipure, des quilles à la jupe et des dents aux manches remontant sur le velours feront leur petit effet, croyez-le.
Et beaucoup de plaisir je vous souhaite, le jour où vous ferez si élégantes.